Et si vous voyagiez dans le temps….pourriez vous remplacer Gygax ?

 

gygax

Imaginez que vous avez trouvé machine à voyager dans le temps et vous êtes en 1955. Vous n’avez pas l’agenda des résultats sportifs jusqu’en 2000, mais vous connaissez le JDR. Vous pourriez devenir le nouveau Gygax !

Sauf que ce n’est pas si simple…

Pour commencer; il n’existe aucun « organe » ou diffuser vos idées, magazine, brochure, ou autre peu ou prou en rapport avec la chose ludique. Et quand bien même, comme les premiers wargames en boite viennent a peine de paraître (ou pas encore) , il n’y a personne pour vous écouter. Et si c’était le cas, ça leur sera difficile de se représenter la chose.

Ce n’est en effet que quelques années plus tard que le magazine de wargame The General apparaît, que sortent les jeux autres que familiaux et qu’apparaissent les éditeurs et les joueurs. Et entre eux, Gary Gygax.

Bref, j’ai pris ce détour pour montrer rapidement que, comme toutes les expressions, le JDR n’existe pas indépendamment de ce que les sociologues appellent un « champ« . Des tissus de relations, centrés sur un objet, structuré par des routines,des  valeurs, acteurs positionnés, etc…Et ce « champ » est une arène qui influe de manière déterminante sur les jeux et leur évolution (à commencer par les conditions de la naissance du JDR).

Donc, pour mieux comprendre le JDR, d’ou il vient,ou il va, et quelles sont les forces qui le travaillent, je vous propose un petit travail de synthèse visuelle créé en m’inspirant de « Playing at the world », un dense essai historique (le plus complet à ce jour) sur la naissance du jeu de rôle.

 

Note :Ceci n’est que la mise en forme/ vulgarisation de quelques notes à destination du « fandom » ludique. J’ai ici représenté les champs en fonction de leur importance numérique (nombre de pratique) et de leur intensité supposée, à la louche, en me concentrant sur l’interaction entre les champs ludiques. J’ai exclu les jeux dont les systèmes ne sont pas gérés par les participants (jeux vidéos), outre leur caractéristiques communes, afin de simplification

 

L’ère du Wargame

 

Tout commence avec le Wargame, qui va lentement se diffuser pendant plus de 150 ans….

 

1800

Le Kriegspiel apparait et il hésite encore entre le jeu et l’instrument de simulation militaire. Des le départ, il est lié a l’utilisation de figurines, quoi que cela reste anecdotique. Le « champ » va prendre près d’un siècle et demi à se densifier. Je l’ai donc représenté de façon indépendante du champ des figurines (qui représentent une grosse industrie) et beaucoup plus modeste

1900

HG Wells publie son « Wargame », qui utilise des soldats de plomb. Sa simplicité et la notoriété de l’auteur lui donnent probablement une audience beaucoup plus large que ses prédécesseurs. C’est un des premiers « livres des règles », mais ce n’est pas le seul a utiliser des figurines

Les deux champs ont donc une intersection

1965

C’est la naissance des Wargames modernes, « en boite ». Le public, la la différence du Monopoly et autres Cluedo, n’est plus familial, mais centré sur de jeux hommes. Les mécanismes prétendent simuler une réalité.

J’ai représenté un champ qui grossit et devient indépendant du champ des « miniatures », même si l’intersection demeure (deux traditions coexistantes, celle du jeu « en boite » et celle du jeu avec figurines).

Vous noterez que même si le champ des figurines empiète moins sur celui du wargame, le nombre de figurinistes concernés n’a pas diminué, conséquence mécanique de l’augmentation du champ du Wargame.

1975

Le magazine The général a permis de créer un véritable « champ » en faisant échanger régulièrement les Wargameurs, programmer leurs rencontres (dont la 1ere GenCon), etc…

C’est l’âge d’or du Wargame, foyer des innovations ludiques.

En même temps, un Wargame difficilement classable est apparu, Donjon et Dragons. On l’appelle « Wargame de fantasy avec des figurines ». Puis « Jeu de fantasy ». Il n’y a pas encore de champs du JDR, ni même de noms pour le JDR.

On voit à travers les étiquettes collées sur D&D qu’il rompt avec une valeur centrale des wargameurs : celle du lien avec la réalité (militaire, historique, etc…). Et ça n’a pas été facile: le champs se résiste à l’introduction de l’imaginaire, qui est bien la principale innovation et rupture (et non pas le role du meneur de jeu ou celui des personnages.

Le champ du JDR commence à éclore, mais n’est pas autonome. Je l’ai représenté à la jonction du champ du Wargame (et des Figurines, qui sont aussi au cœur de D&D). Ce « Proto-champ » a déjà un pied en dehors, car il recrute des joueurs aux attentes différentes. D&D se répand dans un premier dans les universités de l’ouest et de l’est, se féminise (légèrement) et concerne des gens plus intéressés par la « fantasy » (les littératures de l’imaginaire)

L’ère du JDR

 

Le JDR représente un cas intéressant. Apparu au sein d’un autre champs, il va s’autonomiser puis supplanter le champs qui l’a vu naître. Ce sera donc une sorte de « nœud » ou catalyseur qui va dépasser la « simulation » liée à la réalité pour fonder les jeux de l’imaginaire. Son règne sera court, mais décisif.

1982-1984

Le JDR s’est complètement émancipé des Wargames et est devenu un champ. En fait, ce champ est devenu beaucoup plus important que celui des Wargames  (non pas que celui-ci est diminué en nombre, pour l’instant, mais le JDR est devenu beaucoup plus « populaire » : de par son thème plus ouvert, le public s’est encore développé en se rajeunissant).

Du wargame, le JDR a conservé la « simulation » de la réalité en termes statistique…sans la réalité d’origine. Il simule des mondes imaginaires.

Vous noterez que l’intersection avec les figurines est désormais majoritairement le fait du JDR, qui en fait (a cette époque encore) une grande consommation.

D&D, et les JDR, restent très marqués par l’usage des figurines et commercialisés « en boite ». À l’intersection du Wargame et du Jeu de rôles naissent un ensemble de jeux relevant à la fois de l’imaginaire et du wargame. Ce sont les premiers « jeux de plateau » modernes, Les Dune, Fief, Rencontre Cosmique et autres Junta.

 

1988

Le triomphe du champ du JDR, dont les autres ne sont devenus que des annexes. « L’âge d’or » en terme de nombre de clubs, de joueurs de magazines et d’influence sur les éditeurs, qui veulent tous faire du « jeu de rôle ». C’est en France, l’époque de l’invention du terme de Roliste, attribué à Pierre Rosenthal, qui montre bien qu’il ne s’agit pas seulement de jouer à un jeu. Devenir rôliste, c’est revendiquer son appartenance au champ et prendre parti dans son évolution.

C’est l’époque ou le modèle de la simulation, hérité du Wargame et l’importance des figurines commence a créer des scissions. D’un côté, les joueurs attachés à la règle et aux figurines, le D&D des origines. De l’autre, ceux qui privilégient l’histoire, reléguant les règles (de simulation) au second plan.

Ceux-ci triomphent dans le champ. Le JDR est désormais un jeu pour raconter des histoires ou les règles passent en second derrière l’univers, rompant avec les autres familles du jeu.

 

1995 

L’ère de la balkanisation et du déclin.

Tandis que le champ du JDR commence son déclin numérique (notamment pour des raisons de non-renouvellement d’une classe d’âge étroite), il est grignoté par le développement de champs en son sein. Le plus important d’entre eux est la « Warhammerite », les jeux avec figurines prenant leur revanche et détournant de nombreux joueurs. C’est aussi la constitution d’un champ presque autonome, issu des racines wargameuses jamais rompues du JDR : les « dungeon Crawling »

Le jeu de société, sous la conduite d’Asmodée (éditeur de jeu de rôle à ses débuts….) commence à se développer sous la forme des Eurogames, mettant la simulation au second plan et tend a devenir un « champ » indépendant, bien qu’il s’appuie pour l’instant sur les « rôlistes » de moins en moins disponibles. Enfin, les jeux de cartes à collectionner attirent un public à la marge du champ….

 

L’Ère du Jeu de plateau

Le champs des jeux de plateau partage avec les JDRs l’importance donnée à l’imaginaire, mais est beaucoup plus hétérogène. Du fait de son importance, on peut donc considérer les autres champs ludiques comme des « marges » présentant une autonomie de fait.

 

2004-2010

Le jeu de plateau est déjà devenu le champ dominant et le JDR tend à s’isoler de lui (intersection minimale) par un double mouvement : le champ du JDP devient tellement large que les anciens rôlistes deviennent minoritaires. Le JDP n’a plus besoin de cette assise. D’un autre coté, les « rôlistes », dont le dernier magazine vient de disparaître, tendent a se refermer sur leurs tables, pour ceux qui ont passé le cap de la trentaine en conservant un groupe stable (j’aurai ici dû représenter le champ des MMORPG qui empiète sur celui du JDR…).

En 2007, Asmodée, le plus grand éditeur de JDR, arrête cette activité. En 2010, Le JDR est devenu, au même titre que le Wargame, une des marges du champ du jeu de plateau. La mode de magic (le petit cercle blanc) est avalée par les jeux de plateau qui en reprennent les principes

Aujourd’hui 

Le champ du jeu avec figurines est désormais presque totalement intégré dans celui du jeu de plateau, et connait une « inflammation »  due au crowdfunding. Des nouvelles générations  de rôlistes, encore faibles numériquement, sont à cheval sur le jeu de plateau. J’ai représenté un « proto champs », celui des jeux narratifs : des jeux dont les principes de fonctionnement et la présentation sont ceux du JDP, mais visant à créer une histoire.

Demain ?

Un possible développement du champ des jeux narratifs à l’intérieur du jeu de plateau comme une catégorie de jeux à part enterre, partageant les principes du JDP (format, respect de la règle sans « meneur de jeu », etc..), mais orientés à la création d’une histoire. C’était le but de 500NDG a sa création en 2011, mais si le terme s’est effectivement répandu dan le monde du jeu de plateau, c’est plutôt à cause d’initiatives extérieures aux champs du JDR.

Mais ceci est une autre histoire…

 

Ce qu’il reste à faire

 

Le concept de champs ne peut guerre être utilisé pour cartographier « l’arène du JDR », qui est trop réduite numériquement et ne peux pas prétendre a une forme de légitimité. Par contre, il est possible de représenter l’évolution du champs dans le temps, et les filiations. Un petit exemple Bourdieusien tiré de la mode…

 

Voir aussi : la timeline du JDR et l’analyse des « affaires » autour du JDR et les articles de Geeks & Dragons

 

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