Gary Gygax, un dangereux déviant ?

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On le sait, le jeu de rôle , n’est pas sorti un beau jour du cerveau enfiévré d’un créateur inspiré, fut-ce Gary Gygax. Ainsi, la présence d’un « Maitre de jeu » ne marque pas a elle seule la naissance du jeu de rôle. Ni l’incarnation d’un personnage. Tout cela existait bien avant. Cela revient il à dire que Gygayx n’a rien fait ? Que la naissance du JDR est arrivé comme une évidence ? Que nenni. Gygax est avant tout un traitre….

Cet article essaie modestement, à partir des travaux de J. Peterson dans Playing at the world, de porter un autre regard sur la naissance du JDR, qui éclaire son état actuel…

 

Quelle est la grande rupture qui conduit au JDR ?

Comme la lettre cachée,une des caractéristiques du JDR, qui l’oppose aux Wargames  est tellement évidente pour les rolistes qu’elle en devient invisible. Et pourtant, elle est peut être LE réel élément de rupture, si on se penche sur l’histoire.

Je veux parler de l’imaginaire, ou de la « fantasy » dans le sens qu’on lui attribuait au début des années 70.

Pour résumer l’histoire de la naissance du JDR, les années 50 et surtout 60 ont vu se développer une communauté de wargameurs dynamique et une floraisons de jeux. Gygax, qui en fait partie va créer un wargame médiéval, Chaimail, avec un court appendice de quelques pages pour jouer en mode « fantasy ». A la même époque naît « Braustein », un wargame qui propose de jouer sur plusieurs échelles, jusqu’aux acteurs (personnages) des conflits. Une version sauce « Chainmail » de Braustein (initialement à thème napoléonien) donnera bientôt la toute première version de Dungeons and Dragons.

Dans ce histoire, on s’intéresse normalement beaucoup a Braustein, qui modifie les mécanismes et l’objet du wargame, et peu a Chaimail, qui reste un wargame à tous points de vue. Et pourtant….

Jon Peterson note que la publication de Chainmail s’est faite un peu en catimini….

Why did Gygax not telegraph his intentions in that forum? One plausible answer is obvious from the public reaction to the published product: the fantasy setting remained enormously controversial in the broader wargaming community.

Traduction : Gary Gygax avait peur de la réaction du fandom ! Même en réduisant la partie « fantasy » à un appendice. Voila le genre de réactions que note à la sortie de Chainmail Jon Peterson dans les colonnes de The General et autres organes de communications

I, without first reading it myself, loaned [a non-wargaming friend] the November issue (No. 116). The net result was that he has not stopped laughing since. I refer to the Battle Report of the Month. Firstly, I have lost a convert to our hobby, secondly, I object to paying good money for absolute rubbish such as in this issue. I was under the impression that you yourself were of a like mind. I refer to your editorial in Newsletter No. 92… this sort of

Autrement dit, une grande partie des joueurs du fandom, ont une réaction d’incompréhension et de rejet. Notons aussi que ce qui est valable pour Chainmail l’est pour l’autre (et unique !) très timide incursion dans la fantasy (déguisée en antiquité lointaine), deux ans après, en Angleterre

When the British wargaming community finally did publish fantasy rules, they manifested as a three-page appendix to the War Games Research Group’s 1000 B.C. to 1000 A.D. (1973), and then only with the following caveat: “They are hidden at the back like this so that sane, sensible wargamers can avoid continuous mental shocks while thumbing through the pages.”

Revenons en 1971. Au moment de la sortie de Chainmail, les principaux acteurs du fandom – directeurs de revues, créateurs de jeux, éditeurs, etc…- ont la même réaction et suggèrent même une petite « amélioration » à Chainmail

Nor could Gygax rely on a warmer reception for fantasy wargaming Stateside. In the November 1971 issue of Panzerfaust, that publication’s influential editor (and Gygax’s close associate) Donald Greenwood wrote: “Interesting though they may be to some, rules about dragons, wizards, ogres, etc., must appear somewhat foolish to the majority of wargamers.” He even casually suggested that some illustrations and examples of play “would be welcome even if it meant the deletion of such ‘extras’ as the fantasy rules in Chainmail.”

Bref: ca serait parfait…en supprimant la partie fantasy !

Avançons de 40 ans dans le futur. Aujourd’hui. Regardons l’immense majorité des jeux de rôles : ils relèvent de manière écrasante de l’imaginaire. Les jeux purement historiques ou « réalistes », en nombre de publication, et plus encore en pratique restent extrêmement minoritaire. Le jeu de rôle est fantasy, contrairement aux wargames, qui restent ancrés dans l’histoire. C’est le véritable axe de rupture.

 

Et Gygax dans tout ça ?

 

Tout cela est assez compréhensible. Une communauté (fut-ce un fandom) se forme autour de valeurs et de normes qui pèsent sur ces membres. Dans le cadre de l’Amérique des années 50-60 ou naît le wargame, il est très courant de voir de joueurs entamer une carrière dans l’armée  (comme le « Major Wesley » a qui on attribue le fait d’être le « premier GM » ). Le wargame s’ancrait dans une certaine réalité et des valeurs bien définies.du gout des jeunes hommes pour l’antagonisme et/ou  pour l’histoire. Bien sur, il n’y avait pas que cela, mais ces données étaient très dominantes.

in the June 1971 edition of Panzerfaust Gygax conducted a survey through his regular “Warfare in Miniature” column on subjects of interest to his readership. He asked readers to indicate their preference among a number of wargaming settings, encompassing ancient, medieval, pike & musket, Napoleonic, (American) Civil War, First or Second World War, nuclear, fantasy and the catch-all miscellaneous. In October, when he published his preliminary results, he noted that “the lack of interest in Fantasy wargaming really surprised me… I know it does appeal to 90% of those who are introduced directly to it from my experience at several conventions.

Gygax, en plus d’etre un déviant par rapport aux normes de la communauté, était donc en contradiction avec avec les attentes des joueurs d’alors. Il voyait bien que des wargames de fantasy n’intéressaient personne. S’il en était restait la, D&D n’aurait jamais vu le jour car n’avait que peu de chance de prospérer…. là ou il était né.

Le plus grand apport de Gary Gygax à la naissance du JDR est donc peut être d’être allé contre la communauté existante des joueurs. De ne pas s’être conformé aux valeurs et aux normes en vigueur dans le groupe. L’histoire lui a donné raison, puisque D&D a prospéré très largement, mais en dehors de la communauté des wargamers.

Cet expansion s’est faite non pas sur la base de supposées différences profondes, essentielles, entre JDR et Wargames (pendant longtemps, D&D reste d’ailleurs un « Fantasy Wargame »), mais sur la base d’attentes très différentes des joueurs.

A partir d’un petit noyau de Wargameurs curieux, D&D se répand ainsi dans les université et chez des fans de Tolkien et de Fantasy au sens moderne. Ces derniers sont davantage intéressés par l’émulation de l’imaginaire que par les successions de conflits guerriers et la véracité historique.

Le public se féminise (un peu, par rapport aux Wargames). Il se déplace « à gauche » ou du moins se « démilitarise » un peu. Et surtout, quelques années après, il rajeunit (l’age médian tombant d’une vingtaine d’année à 14-15 ans en quelques années). Une nouvelle communauté est né, avec des attentes et un profil différent et qui ne recouvre plus que très partiellement celle des wargameurs.

Quelles leçons pour aujourd’hui  ?

 

Dans la communauté roliste, on se félicite aujourd’hui d’un « renouveau du JDR » supposé. On s’attache souvent aux mots – celui de Jeu de rôle – comme a une relique magique. Le terme de « roliste » désigne autant (et même davantage) une « culture »  et une affiliation identitaire qu’une pratique ludique.

Par sur qu’il y ait la de quoi se réjouir.

Le jeu de rôle est quelque chose de fantastique. Mais pour le faire vivre et prospérer, en un mot évoluer, il lui faut pourtant dépasser les attentes instituées qui le brident dans une forme déterminée et le limitent à un type de public.

Comme a l’époque de Chainmail, les jeux narratifs (terme encore fragile et contesté comme l’était celui de Role Playing Game en son temps) – offrent des innovations qui restent marginales dans leur propre communauté de naissance, celle du jeu de rôle. et qui ne répondent pas à l’attente de la majorité.  Des jeux « sans MJ », des jeux compétitif, des jeux qui ne noircissent pas des centaines de pages de « background ». Des jeux qui collent mal au format « livre des règles ».

Pourtant, en dehors de la communauté roliste – comme à l’époque du démarrage de la fantasy -il existe tout un monde proche. Les amoureux des séries télé n’ont jamais été si nombreux, par exemple. Le monde du jeu de plateau a connu un développement sans précédent (avec un grand intérêt pour les jeux privilégient l’interaction et l’imaginaire)

Si la plupart de ces gens ne sont pas – et ne seront jamais- intéressés par le JDR tel qu’il est, ils pourraient l’être par d’autres formes de jeu. Des formes de jeux qui existent déjà mais restent prisonnières des valeurs et des normes de la communauté roliste.

Un seul exemple. En 2012, la première édition VF de Dungeon World, en boite (avec toutes ses qualités et ses défauts), a recueilli moins de 10 000 euros dans la communauté roliste.  Le livre en a recueilli plus du double, tout en coûtant infiniment moins d’argent et d’efforts. Tout conduit a privilégier le livre au détriment de la boite. Pourtant, la boite de Dungeon World  a fait une incursion notable en dehors du monde roliste, ou elle a été bien accueillie. Alors que DW – et les jeux apocalypse – peinent à faire leur chemin dans la même communauté roliste.

On pourrait multiplier les exemples de cet « enfermement communautaire » qui bride son développement. La vogue des « remakes »,,  celle des livres toujours plus gros (et qui ont toujours moins de chance de toucher d’autres publics) et des univers toujours plus « originaux »  (ou on retrouve la fantasy comme constituant central). Je vous laisse faire l’inventaire.

Pour finir, voici comment en 1973, au moment de la naissance de D&D, la commaunuté des joueurs d’alors envisage l’avenir radieux du Wargame

There was no compelling reason to assume that Dungeons & Dragons would take the market by storm. In the summer of 1973, for Panzerfaust #59, Don Lowry invited various luminaries of the wargaming community to prognosticate on the future of the industry. Most of the responses agonized over the glut of commercial wargames in the marketplace, as if the respondents informally conspired to discourage any additional competition through overstatement of market saturation. Avalon Hill, its views presented by Don Greenwood, predictably insisted that it maintained supremacy in the hobby gaming market—even refusing to acknowledge that SPI constituted a direct competitor—and expansively proclaimed in quite the spirit of their founder Charles S. Roberts: It is our goal to become another Milton Bradley or Parker Brothers, only with adult games. Naturally, since we deal with adult rather than children’s games, this is somewhat idealistic, the market just not being big enough to sustain that volume of sales. [PZF:#59

Moins de 5 ans plus tard, D&D suplantait déja largement les Wargames à la GenCon. La suite, on la connait.

 

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