Action Movie World : si vous avez toujours voulu dire « I will be back ». Un jeu tout en finesse sur les films d’actions des années 70-90

La campagne Apocalypse continue ses préparatifs. Voici maintenant un coup d’un sur la couverture work-in progress de Action Movie World (first blood), le jeu à base d’explosions et de méchants bien méchants. Du grand n’importe quoi pour déconner ? Oui et non. En tout cas, comme tous les jeux « apo », cela part d’une analyse très fine de la fiction – celle des Prédators et autres Van-dammeries des années 80-90-, restituée avec luxe et précision dans ce jeu. Et peut être même un peu plus qu’un divertissement. Voici donc ce qu’en dit l’auteur….

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Couverture de Grégory Lé, en cours, façon jacquette de VHS

L’année 2015 a été a capitale pour l’Amérique. La Cour Suprême a statué en faveur du mariage pour tous, et a conservé la majorité de l’Obamacare (Loi sur la Protection des Patients et les Soins Abordables). L’administration Obama a renoué des relations diplomatiques avec Cuba, et négocié un accord concernant le nucléaire avec l’Iran. Toutes ces choses sont importantes, quelle que soit votre affiliation politique. Mais si vous êtes comme moi, la raison pour laquelle vous vous souviendrez de 2015, est parce que le film Dans les griffes du Dragon rouge est sorti en Blu-ray, dans un format spectaculaire de 1.85:1. C’est le moment que j’attendais depuis l’introduction du format haute-définition.

Les films d’action — et en particulier ceux sortis entre 1973 (Dans les griffes du Dragon rouge, où Bruce Lee fait face à une armée d’assassins) et 1995 (Mort Subite, où Jean-Claude Van Damme combat un assassin portant un déguisement de pingouin) — dépeignent un univers débordant d’honneur, de camaraderie, et de muscles. C’est un monde dans lequel nombre d’entre nous aiment se perdre avec joie. Les films d’action combinent les mouvements gracieux des comédies musicales avec la violence  fracassante des comédie burlesques, le tout accompagné de la justice expéditive du Western. Gene Kelly et les Trois Stooges s’unissent, pour confronter Jackie Chan et Arnold Schwarzenegger.

Vers 1992, je me souviens, à l’âge de 14 ou presque, d’avoir découvert Bloodsport – Tous les coups sont permis, diffusé tard le soir sur le câble. L’histoire brutale, simple et nerveuse de Frank Dux, ce Capitaine vétéran de l’armée américaine (interprété par Jean-Claude Van Damme), entraîné aux arts martiaux du ninjitsu par un Japonais, figure paternelle de substitution, et sa progression dans un tournoi illégal d’arts martiaux, appelé le “Kumité,” dans lequel il se bat pour le sang et l’honneur. Peu de films de l’ère du parlant sont aussi parfaits que Bloodsport. Les personnages se définissent par la pratique de leurs techniques d’art martiaux, et ils communiquent visuellement leur point de vue, avec chaque coup et chaque parade. Les dialogues minimalistes rappellent l’existentialisme sombre de Beckett, comme lorsque le sinistre Chong Li (Bolo Yeung) déclare à notre héros Frank Dux (JCVD), “T’as brisé mon record. C’est toi que je vais briser! Comme ton copain!”

Le récit est l’équivalent d’une tragédie Grecque, voire d’une parabole biblique. Van Damme dans l’antre du lion. En parlant de gros chat, je pourrais aussi évoquer Dar l’invincible (The Beastmaster), un autre classique des secondes parties de soirées sur le câble.7 Marc Singer et ses abdominaux électrifiaient l’écran, dans le rôle légendaire de Dar, l’orphelin de la prophétie, censé délivrer le monde du mal. Dar pouvait communiquer avec les animaux, et c’est accompagné de ses furets, de son aigle, et d’une énorme panthère qu’il décimait les cultistes et les berserkers en se battant pour la justice, tout en nous éduquant sur les droits des animaux et les exercices de gainage. C’était un film qui parlait à la fois aux culturistes et aux maîtres de jeux, tout en parvenant à réellement connecter l’idéologie films d’action film avec les possibilités offertes par le jeu de rôle.

Si D&D est l’ancêtre de tous les JDR, Dar l’invincible est l’ancêtre de tous les films d’action fantasy destinés au public rôliste. L’intrigue est celle d’un film d’action classique, dans lequel un héros malgré lui doit faire son apprentissage, et acquérir de l’expérience, avant de pouvoir finalement se lancer dans une quête périlleuse, et de faire face à un formidable adversaire. C’est assez familier, je dirais, pour ceux qui comme nous, manipulent souvent des dés polyédriques.

Ce qui m’amène à parler d’ACTION MOVIE WORLD. Les scénarios classiques de films d’action vous offrent la possibilité d’être combinés, vous permettant ainsi de jouer dans vos univers d’action favoris. Par exemple, vous pouvez tenter de lier l’univers des barbares monosyllabiques, incarné par Arnold Schwarzenegger, dans Kalidor – la légende du talisman (Red Sonja), à celui des agents des forces spéciales monosyllabiques, incarné également par Arnold Schwarzenegger dans Predator. Mais oui, vous pouvez faire ça! Le système de jeu d’ACTION MOVIE WORLD vous permet à la fois d’habiter et de transcender les structures narratives des films d’action, par des moyens qui célèbrent ce divertissement crétin (et malin) pour mieux en déconstruire, comment dire, les angles morts socio-politiques de ces œuvres.

Par exemple, à l’image des anciens poèmes épiques, de la majorité de la philosophie occidentale, et pour être honnête, de la plupart des jeux de rôle, les films d’action ont principalement été le domaine réservé des hommes, et ils forment une extension narrative du mythe patriarcal. Ce sont des récits centrés sur des communautés en crise, menacées par le mal ou la corruption, et des hommes solitaires qui vont y rétablir l’ordre.  Ces héros réalisent les fantasmes d’hommes réels à se voir débarrassés des normes sociétales, de leurs responsabilités familiales, et de leurs incapacités physiques. Il est évident que ces films sont franchement masculins. Il n’y a simplement pas beaucoup de femmes, tout du moins dans les films d’action américains. Je suppose que vous pouvez protester, en soulignant que Sigourney Weaver est une star d’action, en raison de la franchise Alien, mais en vérité, hormis pour les stars de Blaxploitation telles que Pam Grier, Tamara Dobson, et Gloria Hendry ; Red Sonja elle-même, Brigitte Nielsen ; et la mini-guerrière Cynthia Rothrock, les films d’action restent un monde d’homme. La championne de MMA Ronda Rousey pourrait bientôt se reconvertir dans le cinéma d’action,14 mais pour le moment, celui-ci reste l’apanage des hommes. Même Red Sonja ne peut se passer d’Arnold Schwarzenegger, qui est le seul à pouvoir dompter la farouche diablesse écarlate.


De quel genre d’univers masculin parlons-nous, ici ? Les héros hyper-masculins des années 80 sont, comme le soulignent souvent les universitaires, des fantasmes de vengeance culturelle. Cela vaut certainement pour les films les plus célèbres de Chuck Norris et de Sylvester Stallone. Leurs œuvres revisitent l’Histoire, suggérant que les états-unis auraient pu gagner la guerre du Vietnam, ou la crise des otages en Iran, simplement en ayant été plus costauds et virils. Ils dépeignent également pour la plupart un monde peuplé de blancs, Américains ou Européens. Même si un bon nombre de stars asiatiques y sont invitées, et que l’on peut aussi évoquer le bref cycle de Blaxploitation des années 1970. Il y a quelques exceptions notables, toutefois, comme Wesley “Parie toujours sur les noirs” Snipes. Mais en règle générale, les films d’action doivent être en partie définis par ce qu’ils excluent. Cela étant dit, il y a un autre type de monde masculin, qu’il convient de considérer. Le panthéon des films d’action est souvent centré sur des stars Américaines étant à la base des émigrés — Van Damme, Schwarzenegger, Lundgren — ce qui confère un élément de déracinement à leurs personnages taciturnes. Ce sont des machines de destruction.

Quelques fois, leurs familles ont été massacrées, et ils cherchent à assouvir leur vengeance ; d’autres fois ils sont des robots ; ou encore des flics en lutte contre des dealers extraterrestres. Mais ils sont bien plus que ça, dans le fond. En combattant  des dealers extraterrestres, ils cherchent quelque chose de plus profond. Ils se cherchent eux-mêmes.

ACTION MOVIE WORLD vous permet d’accéder à cet univers où les vœux se réalisent, et où vous pouvez devenir le Last Action Hero, excepté que dans cet univers, Last Action Hero est un bon film. Non seulement vous pouvez incarner la version fantasmée d’un héros musclé capable de faire le grand écart en slip, entre deux chaises pliantes, mais également la version fantasmée d’un héros musclé capable d’abattre des hélicoptères, en étant simplement armé d’un arc et de flèches. Mais ACTION MOVIE WORLD est bien plus équilibré sur les questions de genre et de d’appartenance ethnique. Vous pouvez suivre, subvertir, détourner, ou déconstruire les rôles des personnages, de façon à ce qu’ils approfondissent votre expérience de jeu et connectent les fantasmes des héros d’action aux luttes de pouvoir du monde réel. Peu importe qui vous êtes, et quelle est votre identité sexuelle, vous devez admettre que Jason Statham est sexy. Attendez, j’ai perdu le fil de mon propos. Peu importe qui vous êtes, et quelle est votre identité sexuelle, si vous appréciez la morale en noir et blanc (et gris) des films d’action, alors vous allez passer un bon moment.

Donc poursuivez votre lecture, guerriers d’action. Jouez rudement, et souvenez-vous, vous n’avez pas le temps de saigner.

 

 

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